samedi 26 décembre 2015
Les activités ludiques en classe de français langue étrangère
l’art
d’instruire et d’apprendre avec plaisir Christine Renard, formatrice Cedefles à
Louvain-La-Neuve. « L’enfant qui ne joue pas n’est pas un enfant, mais l’homme
qui ne joue pas a perdu l’enfant qui vivait en lui » Pablo Neruda Le jeu fait
partie de nos vies. Il nous autorise, pour un temps, à sortir de « l’ici,
maintenant », d’expérimenter, d’imaginer, de créer, de tester notre capacité à
résoudre des problèmes nouveaux,… Des jeux existants, transformés, prolongés ou
adaptés avec de nouvelles variantes sont un véritable vivier de ressources pour
l’enseignement du français langue étrangère, ou langue maternelle. Le jeu,
essai de définition Les caractéristiques essentielles du jeu se résument en
quelques mots : plaisir, spontanéité, gratuité (accomplissement d’un acte pour
ce qu’il est en soi) et créativité de l’acte posé. Il répond à un besoin de
détente, de plaisir, d’exploration et de découverte de l’individu. Il permet
d’organiser, de structurer son processus psychique et d’élaborer ses capacités
cognitives et affectives. Il touche tous les groupes d’âges, toutes les
catégories sociales et tous les tempéraments humains, des plus timides aux plus
audacieux. L’intérêt de l’utiliser à des fins pédagogiques en fle Toute
production (orale ou écrite) dans une langue étrangère comporte une part de
stress. L’apprenant se sent mis en danger lorsque, devant la classe, il doit
s’exprimer. Le jeu offre cette opportunité d’occulter une part de cette angoisse.
Il génère un plaisir qui fait que l’apprenant oublie en partie ses peurs. Il se
lance et ose. N’est-ce pas un des buts poursuivis par l’enseignant de langue
étrangère ? Pour que l’apprenant se sente à l’aise dans la communication
naturelle, il faut, au sein de la classe, lui donner la possibilité d’exercer
ses talents, de s’exprimer dans des situations qui se rapprochent le plus
possible des situations naturelles d’échanges, non seulement 2 avec
l’enseignant, mais également avec ses pairs. Il faut lui donner l’occasion de «
tester » ses compétences linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques pour
qu’il puisse découvrir les clefs d’une communication réussie dans la langue
qu’il aborde. Le jeu offre ce champ d’expérience. Un autre grand avantage des
activités ludiques est qu’elles soudent le groupe, qu’elles instaurent un
climat de confiance, de coopération, de respect qui permet à chacun de se
sentir à sa place et d’oser exprimer ses besoins. Elles créent des liens entre
les différents participants grâce aux activités de groupes. Elles permettent la
diversification des associations au sein des apprenants par la formation et la
variation de ces groupes. Cette atmosphère de convivialité et de plaisir fait
que les apprenants apprécient de se retrouver et viennent au cours avec plus de
bonheur. Ils désirent également progresser pour enrichir les échanges. Le
recours fréquent à des activités collectives ou semi-collectives que le jeu
impose permet à chacun d’apprendre des autres et d’apporter ses propres acquis
afin de faire avancer la collectivité vers la solution finale. Les échanges
font progresser l’individu au sein de l’entité. Les apprenants ne reçoivent
plus seulement les connaissances du maître mais les partagent entre eux et
prennent conscience de leurs propres acquis. Ceci les rend généralement plus
confiants par rapport à leurs compétences. Pendant ce temps, le pédagogue aura
plus de liberté pour l’observation de ses apprenants et pourra ainsi faire
évoluer le cours en fonction des lacunes et des besoins qu’il aura identifiés.
Enfin, l’introduction des jeux en classe de français langue étrangère respecte
la perspective de l’apprentissage de la langue par l’exécution des tâches comme
le préconise le Cadre Européen Commun de Référence (CECR). Celui-ci accorde
toute son importance à l’utilisation ludique, esthétique et poétique de la
langue (points 4.3.4 et 4.3.5) dans une démarche résolument actionnelle.
Quelles sont les compétences sollicitées ? De par la diversité des activités
que l’on peut proposer, l’apprenant sera lecteur, récepteur, scripteur,
locuteur et/ou interlocuteur. Il sera amené à mobiliser ses acquis en
vocabulaire, grammaire,… pour les réinvestir dans un contexte attrayant et
permissif à un niveau de performance que lui seul fixe. Le jeu provoque
l’interaction dans laquelle l’apprenant est à la fois récepteur, producteur et
où il doit exercer sa capacité d’anticipation (il pense à ce qu’il va répondre
pendant qu’il écoute ce qu’on lui dit) comme dans une vraie interaction
sociale. De plus, l’apprenant sera amené, par l’expérience du jeu, à mettre en
pratique deux fonctions que remplit le discours : la fonction propositionnelle
(ce que disent les mots) et la fonction illocutoire (ce que l’on fait avec les
mots ; donner un ordre, accuser, s’excuser,…). Ces deux fonctions seront mises
en œuvre spontanément. Il faudra veiller , comme le conseille le CECR, à
proposer des tâches aux buts motivants mais atteignables. Attention donc de se
baser sur les besoins communicatifs des apprenants, sur leurs compétences,
autant générales que communicatives langagières, et sur leurs ressources. Un
niveau élevé de motivation personnelle dans la réalisation d’une tâche,
conduira l’apprenant à une plus grande implication et, par conséquent, à une
mobilisation plus efficace de ses savoirs, issus de connaissances et
expériences antérieures. Ceux-ci seront confrontés à ceux de ses interlocuteurs
afin d’atteindre un nouveau niveau de performance. 3 En pratique Les trois
questions à se poser avant le lancement d’une activité ludique Il y a trois
points importants auxquels l’animateur se doit d’être attentif avant de se
lancer,avec sa classe, dans l’expérience du jeu. • Celui des prérequis
nécessaires : les apprenants disposent-ils des outils nécessaires pour vivre de
façon relativement sécurisée l’activité ? Si ce n’est le cas, l’enseignant
veillera à rendre l’apprenant plus efficace dans l’exécution de la tâche en la
faisant précéder d’autre tâches préparatoires (réponses à des questions,
repérage de formules linguistiques, compréhensions à l’audition,…). • Celui des
objectifs poursuivis : l’activité que l’animateur va proposer correspond-elle
aux objectifs qu’il s’est fixés ? Ceux-ci peuvent être d’ordre linguistique,
fonctionnel, culturel, … • Celui du sens : cela a-t-il du sens de proposer
cette activité à ce moment précis ? A-t-elle sa place dans la progression du
cours ? Il se peut que le sens majeur identifié soit celui du pur plaisir ; ce
but peut se suffire à lui-même car il sera de toute façon toujours accompagné
d’avantages communicatifs, du fait même que le jeu proposé met en scène la
langue et sa pratique. La consigne L’énonciation de la consigne est un moment
déterminant. Celle-ci doit impérativement être très claire et énoncée une seule
fois dans un premier temps. Il sera toujours temps de répondre aux questions
s’il reste des zones d’ombres. Enoncer une consigne plusieurs fois de suite
avec des mots différents peut amener de la confusion dans l’esprit des
apprenants. Si la consigne s’avère particulièrement complexe, mieux vaut la
décomposer et procéder par étapes. Il est toujours hasardeux de donner
plusieurs informations en même temps. Le travail en groupe Bien sûr, il existe
des jeux individuels, mais pourquoi ne pas profiter de la richesse que génère le
travail en groupes ? Dans ce cas, il est conseillé de les faire varier, de
proposer des activités de deux, trois, quatre, cinq, six personnes, ainsi que
des activités collectives. Cette façon de procéder permet de rompre la
monotonie et de provoquer des rencontres diverses. L’organisation en petites
cellules sans la présence constante du maître libère généralement les plus
timides et s’apparente plus à la véritable interaction sociale, amenant les
apprenants à expérimenter des échanges plus « naturels », et les préparant
progressivement aux rencontres avec les natifs. L’évaluation Si une évaluation
s’avère nécessaire pour les différentes activités ludiques, on peut l’imaginer
sous forme de liste spécifique à chaque activité en fonction des compétences
langagières sollicitées et des objectifs visés. On établira si, oui ou non,
l’apprenant a accompli avec succès les actions détaillées comme suit : peut se
présenter, peut décrire une personne, peut formuler une demande, comprend une
consigne, respecte une consigne, peut construire une phrase complète
syntaxiquement correcte, peut reproduire une structure syntaxique donnée, peut
écrire sans faute d’orthographe, repère les différentes classes grammaticales,
s’exprime avec aisance, maîtrise l’art de la définition… Ces compétences
relèvent tant du domaine de la réception que de la production.
Le jeu comme un outil pédagogique
Les trois dernières décennies du XX° siècle ont été profondément marquées
par une rénovation de la didactique dans toutes les disciplines. Dans le cas de
la didactique des langues étrangères et secondes, les années 1970 sont celles
du fameux "tournant communicatif" et de la centration sur
l’apprenant ; c’est de cette époque que datent les premières tentatives
d’introduction du jeu comme outil pédagogique à part entière en classe de FLE.
Cependant, il faut attendre les années 1980 et 1990, et la réflexion plus
poussée sur la créativité et les techniques d’animation menée par divers
spécialistes, dont Francis Debyser et Jean-Marc Caré parmi bien d’autres, pour
que les jeux de mots et les jeux de lettres, certains jeux de société et toute
une gamme d’activités d’expression dramatique obtiennent un véritable droit de
cité. Ces apports fondateurs souffraient pourtant du même problème qui
caractérise le recours à la notion de jeu au sein de diverses disciplines : en
raison de sa remarquable souplesse, le jeu est instrumentalisé mais non
problématisé ; il ne peut donc être véritablement conceptualisé.
À un moment où l’approche communicative semble peu à peu céder le pas à la perspective actionnelle promue par le Conseil de l’Europe, il est intéressant de constater que la place consacrée au jeu dans le Cadre européen commun de référence reste très marginale (1). Ainsi, l’incontestable intérêt que suscite le jeu depuis une trentaine d’années reste toujours difficile à transposer de manière concrète par les enseignants, car la notion de jeu est écartelée entre un très faible étayage théorique et un éclatement des pratiques. Cela contribue à alimenter les doutes sur la légitimité et sur l’efficacité de l’outil ludique en classe de FLE, surtout auprès d’un public adolescent et adulte.
Puisque le jeu est un outil problématique et rarement problématisé, comment répondre à la question "Le jeu peut-il constituer un outil pédagogique à part entière pour la classe de FLE ?".
À mon sens, on peut y répondre "oui, sous certaines conditions".
Pour tirer le plus grand profit des nombreux avantages du jeu sans tomber dans le piège de ses possibles inconvénients, il importe de mieux le connaître pour mieux l’utiliser. Sans prétendre nullement épuiser un sujet extrêmement vaste, je souhaiterais fournir aux enseignants désireux d’intégrer une fois pour toutes le jeu dans leur sac à malices quelques éléments théoriques de réflexion, illustrés par des exemples pratiques.
Pour ce faire, je proposerai ici un parcours en trois temps : je brosserai d’abord un rapide tableau historique de l’évolution des notions de jeu, pour ensuite tenter de démêler quelque peu le réseau apparemment inextricable de significations contradictoires attribuées au jeu, pour aborder finalement de manière plus concrète les différents niveaux de référence sémantique du jeu en classe de FLE.
Quelques éléments historiques sur les
notions de jeu
L’utilisation du jeu dans la classe de FLE s’inscrit dans le cadre plus
global de l’utilisation pédagogique du jeu et, de ce fait, est marquée par
diverses déterminations sociales, historiques et culturelles. Ainsi, en
Occident, on ne peut que constater une idéalisation croissante du jeu et, plus
particulièrement, du jeu exalté comme principe de base de l’éducation. Or, il
n’en a pas toujours été ainsi. Retraçons ici très rapidement les principaux
jalons de l’évolution historique des notions de jeu, en nous intéressant plus
particulièrement aux rapports entre jeu et éducation.
À un moment où l’approche communicative semble peu à peu céder le pas à la perspective actionnelle promue par le Conseil de l’Europe, il est intéressant de constater que la place consacrée au jeu dans le Cadre européen commun de référence reste très marginale (1). Ainsi, l’incontestable intérêt que suscite le jeu depuis une trentaine d’années reste toujours difficile à transposer de manière concrète par les enseignants, car la notion de jeu est écartelée entre un très faible étayage théorique et un éclatement des pratiques. Cela contribue à alimenter les doutes sur la légitimité et sur l’efficacité de l’outil ludique en classe de FLE, surtout auprès d’un public adolescent et adulte.
Puisque le jeu est un outil problématique et rarement problématisé, comment répondre à la question "Le jeu peut-il constituer un outil pédagogique à part entière pour la classe de FLE ?".
À mon sens, on peut y répondre "oui, sous certaines conditions".
- La première condition consiste à aborder le jeu de manière rigoureuse, car à l’instar de tout autre outil son efficacité tient moins à ses qualités intrinsèques qu’à l’usage que l’on en fait. Il existe sur le marché de nombreux recueils de jeux pédagogiques, certains d’entre eux axés sur le FLE (2) ; il existe également des centaines d’ouvrages touchant de près ou de loin au jeu pédagogique. Cependant, on peut regretter qu’au delà des "recettes" parfois difficiles à appliquer, très peu de ces livres abordent de manière claire et accessible les critères de base pour une utilisation adéquate du jeu en classe de FLE.
- La deuxième condition consiste sans doute à établir un lien adéquat entre les trois niveaux du fait didactique : hypothèses théoriques relatives autant au jeu qu’à l’enseignement/apprentissage des langues, outils pédagogiques et pratiques réelles de classe, car c’est de l’incohérence entre ces différents niveaux que naissent en général les difficultés d’exploitation pédagogique du jeu.
- Finalement, la troisième condition consiste à ne pas chercher dans le jeu un outil miraculeux, mais à y voir simplement – et c’est déjà largement suffisant – l’occasion d’enrichir sa boîte à outils.
Pour tirer le plus grand profit des nombreux avantages du jeu sans tomber dans le piège de ses possibles inconvénients, il importe de mieux le connaître pour mieux l’utiliser. Sans prétendre nullement épuiser un sujet extrêmement vaste, je souhaiterais fournir aux enseignants désireux d’intégrer une fois pour toutes le jeu dans leur sac à malices quelques éléments théoriques de réflexion, illustrés par des exemples pratiques.
Pour ce faire, je proposerai ici un parcours en trois temps : je brosserai d’abord un rapide tableau historique de l’évolution des notions de jeu, pour ensuite tenter de démêler quelque peu le réseau apparemment inextricable de significations contradictoires attribuées au jeu, pour aborder finalement de manière plus concrète les différents niveaux de référence sémantique du jeu en classe de FLE.
Quelques éléments historiques sur les
notions de jeu
L’utilisation du jeu dans la classe de FLE s’inscrit dans le cadre plus
global de l’utilisation pédagogique du jeu et, de ce fait, est marquée par
diverses déterminations sociales, historiques et culturelles. Ainsi, en
Occident, on ne peut que constater une idéalisation croissante du jeu et, plus
particulièrement, du jeu exalté comme principe de base de l’éducation. Or, il
n’en a pas toujours été ainsi. Retraçons ici très rapidement les principaux
jalons de l’évolution historique des notions de jeu, en nous intéressant plus
particulièrement aux rapports entre jeu et éducation.
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